Nos clients deviennent nos concurrents
C’est la pire chose qui puisse arriver à une industrie. Ce constat du Directeur de l’Innovation d’un énergéticien historique montre comment le marché hautement centralisé de l’énergie est en train de se transformer suite à l’émergence de l’autoconsommation, clients actifs qui sont à la fois producteurs et consommateurs d’énergie.
Il en existe plusieurs types : les autoconsommateurs résidentiels, qui produisent de l’électricité à domicile – principalement grâce à des panneaux solaires photovoltaïques sur leurs toits ; les communautés énergétiques qui rassemblent les citoyens dans des modes de production d’énergie renouvelable ; les “pro” dont l’activité principale n’est pas la production d’électricité ; les institutions publiques comme les écoles ou hôpitaux qui installent des panneaux PV sur leurs toits ou des pare-soleil.
Leur émergence est due à plusieurs facteurs
Ces dernières années, les technologies des énergies renouvelables ont vu leurs prix divisé par 10 en 10 ans, ce qui a permis de les commercialiser sur un marché plus large. Les citoyens manifestent également la volonté de jouer un rôle dans le développement de ce secteur des énergies renouvelables et la libéralisation timide du secteur permet la mise en place de nouvelles pratiques.
Si, individuellement, ces consommateurs-producteurs semblent inoffensifs, ils peuvent devenir perturbateurs et concurrencer les systèmes énergétiques centralisés en unissant leurs forces. Les communautés énergétiques ont-elles vraiment le potentiel de perturber le marché de l’électricité ?
Des initiatives citoyennes
La notion de communauté énergétique renvoie à une pluralité d’initiatives, bien qu’elle soit généralement associée à des projets énergétiques citoyens, tels que Buxia Energie, Energ’Y Citoyennes ou Grési21 en Isère.
Ces groupes rassemblent des citoyens, souvent associés à des collectivités, des entreprises ou des associations qui souhaitent produire ensemble et localement de l’énergie renouvelable ou mener des actions en faveur de la maîtrise de l’énergie. Hoom, aux Pays-Bas, soutient les coopératives qui souhaitent mener des actions individuelles ou collectives pour la rénovation énergétique des bâtiments. L’objectif est de promouvoir le tissu économique et social du territoire et de permettre que les revenus générés profitent à la communauté.
Peut-être moins intuitivement, nous constatons qu’un nombre croissant de fournisseurs d’énergie qui surfent sur l’idée de créer des communautés énergétiques afin de se différencier de la concurrence. En particulier, ces fournisseurs développent des plates-formes qui reposent sur le rapprochement, d’une part, des petits et même des très petits producteurs et, d’autre part, des consommateurs.
Certains fournisseurs permettent également à leurs clients, syndic de copropriété ou copropriétaires, de s’engager dans une autoconsommation collective une fois que le régulateur aura arrété de bloquer l’autoconsommation collective.
Selon le recensement réalisé par l’Association de l’énergie partagée – qui regroupe la plupart des acteurs de l’énergie citoyenne au niveau national – il existe 315 communautés énergétiques en France, avec 11 000 actionnaires. Ensemble, ils ont produit 0,2 % de la production annuelle d’électricité renouvelable de la France en 2016.
Un marché plus mature
Les communautés font également partie d’un écosystème plus mature et plus favorable aux Pays-Bas qu’en France. Par exemple, ce sont les gestionnaires de réseau de distribution qui financent la plate-forme nationale de partage de l’information. Les Pays-Bas ont également inclus dans leur accord sur le climat l’objectif que les acteurs locaux détiennent 50 % de la capacité de production d’électricité renouvelable (hors off-shore) d’ici 2050.
D’autre part, en France, il y a une certaine résistance de la part des principaux acteurs du secteur. Enedis, par exemple, a récemment publié un forum dans lequel il est affirmé que les communautés énergétiques citoyennes peuvent nuire à l’accès à l’électricité. Ces structures sont également confrontées à de nombreux obstacles administratifs, réglementaires et organisationnels : la difficulté de pérenniser une structure sur une base volontaire, de trouver une assurance, de convaincre les services techniques municipaux de mettre des toitures à disposition, ou le manque de transparence sur le coût du raccordement au réseau.
Enfin, il existe des différences dans la façon dont ces communautés se positionnent et se présentent. Comme le mouvement a commencé en France, ils ont souvent revendiqué une action militante. Aux Pays-Bas, où elle est bien implantée, ces nouveaux acteurs cherchent principalement à créer une marque attractive pour le grand public.
Remettre en cause la logique dominante du secteur
Une autre façon d’évaluer l’impact des communautés énergétiques est d’étudier leur influence sur la logique dominante des fournisseurs d’énergie historiques. Dans une industrie, les entreprises interprètent souvent les attentes de leurs clients de la même manière et comment y répondre. Pour les fournisseurs d’énergie classique, il n’y a pas de différenciation produit, la qualité de l’électricité est la même, peu importe les fournisseurs.
Bien que cette logique historique prévaut toujours, l’exemple des Pays-Bas montre que les communautés énergétiques sont à l’origine du changement. Engie, qui proposait une offre totalement classique jusqu’en 2015, permet désormais à ses clients de choisir leur propre source d’énergie. Parmi les options proposées, un parc éolien en mer du Nord ou dans un polder – une zone de terre plus petite que la mer et maintenue artificiellement sèche – en Frise, et la possibilité de consommer l’énergie solaire excédentaire produite par les autres clients de l’entreprise. La société d’énergie propose une carte interactive du pays, inspirée de celles d’Airbnb, permettant de localiser tous les clients qui vendent leur surplus d’énergie photovoltaïque.
En France, les communautés de l’énergie sont animées par la volonté de sensibiliser et de montrer qu’il est possible de produire autrement, tandis qu’aux Pays-Bas, le mouvement gagne en dynamisme et en maturité. Mais les volumes produits par ces communautés restent faibles et la révolution est encore loin d’avoir lieu. Si les collectivités réussissent à pousser les entreprises énergétiques historiques à changer leurs pratiques, leur impact pourrait être considérable et changer radicalement le système vers un modèle plus décentralisé et mieux contrôlé par ses citoyens.